Acte premier

À Chennevières ; un jardin planté d’iris et de roses, qu’une haie, au fond, sépare d’une allée banale sur laquelle donnent de petites villas. À droite du théâtre, la maison. À gauche, la barrière d’entrée. Au lever du rideau, assise, Margot se livre à un travail de femme. Lauriane, en bras de chemise, le chef coiffé d’un panama, et un arrosoir à la main, fait fonctionner le bras d’une pompe placée à gauche du théâtre.

Scène première

Lauriane, Margot

LAURIANE.

Certes, je peux le dire à voix haute : je me soucie des palmes académiques comme de mon premier caleçon de bain. Il n’en est pas moins vrai que le doute où je vis de savoir si je les ai ou si je ne les ai pas me crée un odieux état d’âme. Tu es sûre qu’on ne trouve pas l’Officiel à Chennevières ?

MARGOT.

Sûre. Je te l’ai déjà dit cent fois.

LAURIANE.

À Champigny ?

MARGOT.

Pas davantage.

LAURIANE.

Et à La Varenne ?

MARGOT.

Pas plus.

LAURIANE.

Drôle d’idée que j’ai eue d’avoir choisi ce patelin pour y venir passer mes vacances !... Je la retiens, la banlieue ! En tout cas, tu pourrais me laisser passer ; tu vois bien que je vais tirer de l’eau.

MARGOT.

Qui se range.

Oh ! pardon.

LAURIANE.

Le bras en mouvement sur le levier de la pompe.

C’est comme Lavernié. Si jamais ma chienne fait des petits, tu parles, ma fille, non mais tu parles si je lui en mets un de côté.

MARGOT.

Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

LAURIANE.

Il m’a fait que l’Officiel est mis en vente à six heures du matin, qu’il est près de cinq heures du soir, que ce grand imbécile me laisse sans nouvelles, et que quand on a dit aux gens : « Je t’enverrai une dépêche sitôt qu’il y aura du nouveau », on ne doit pas les laisser sur le gril comme de simples Saint-Laurent. C’est vrai, ça… Mais range-toi donc ! C’est curieux, ce besoin d’être toujours dans mes jambes !... (Il passe devant Margot, les arrosoirs à la main, gagne la haie qui isole son petit jardin de l’allée banale de la ville. Là, brusquement :) Tiens, Camille !...

MARGOT.

Qui, Camille ?

LAURIANE.

La femme de Marvejol.

MARGOT.

Eh bien, ne te gêne plus. Tu pourrais dire : « Madame ».

LAURIANE.

Tu n’as pas la prétention de me donner les leçons de savoir-vivre ?

MARGOT.

Je n’ai aucune prétention, tu le sais bien.

LAURIANE.

Ironique.

Tu as tort ; tu devrais en avoir, à la beauté, et même à l’intelligence.

MARGOT.

Pourquoi essaies-tu de m’humilier ? Je ne t’ai rien dit de blessant, moi. Simplement, je te fais remarquer que tu pousses un peu loin la familiarité avec des gens que tu connais à peine et auxquels nous ne sommes liés que par des relations de voisinage.

LAURIANE.

C’est ton avis ?

MARGOT.

C’est mon avis.

LAURIANE.

Eh bien, tu me rases, voilà le mien.

MARGOT.

N’en parlons plus.

LAURIANE.

Les yeux sur Camille qui vient d’apparaître par la droite et dont on voit le haut du corps par-dessus la haie de séparation.

Cette femme me ferait passer par un trou de souris. (Haut.) Belle dame…

Scène II

Les mêmes, Camille

CAMILLE.

Bonjour, monsieur Lauriane ; bonjour, madame Lauriane.

MARGOT.

Bonjour, chère madame.

LAURIANE.

Madame Marvejol, je suis votre serviteur. Madame est allée à Paris ?

CAMILLE.

Oh ! Un saut entre deux trains ! Juste le temps qu’il faut à une Parisienne pour dépenser vingt francs au Louvre en acquisitions inutiles.

LAURIANE.

Bah ! quelles acquisitions ?

MARGOT.

Tu es indiscret, Charles.

CAMILLE.

Ne m’en parlez pas ! Je n’ai rien trouvé à mon goût. Ces grands magasins sont d’un pauvre !... Où est mon mari ?

LAURIANE.

Marvejol ? Il est où vous l’avez mis. Ayant reçu de vous une consigne qu’il observe, ce modèle des époux taquine le goujon, les jambes dans l’eau et la tête au soleil. Ah ! le gaillard est bien dressé… (Bas.) Si vous saviez comme votre chapeau vous va bien.

CAMILLE.

À part.

Qu’est-ce qui lui prend ?

Fausse sortie.

LAURIANE.

Dites-moi, chère madame…

CAMILLE.

Redescendant.

Cher monsieur ?

LAURIANE.

Vous n’auriez pas eu par hasard l’idée d’acheter l’Officiel ?

CAMILLE.

Stupéfaite.

Ma foi, non.

MARGOT.

Charles !

LAURIANE.

Et après ?... Au lieu de te mêler de ce qui ne te regarde pas, tu ferais mieux d’engager madame à venir se reposer chez nous, en attendant le retour de M. Marvejol.

CAMILLE.

Vous êtes trop aimables.

LAURIANE.

Allons donc ! Des cérémonies ! Vous prendrez bien un verre de bière.

CAMILLE.

Hésitant.

Merci.

MARGOT.

Merci oui ?

CAMILLE.

Qui se décide.

Merci oui.

MARGOT.

À la bonne heure.

CAMILLE.

J’enlève mon chapeau et je reviens.

LAURIANE.

À mi-voix, ému.

Vous êtes bonne.

CAMILLE.

Riant.

Il fait chaud, et j’ai soif, voilà tout. À tout à l’heure.

MARGOT.

C’est cela.

CAMILLE.

À part, remarquant que Lauriane ne la perd pas des yeux.

Il m’agace !

LAURIANE.

À part.

Elle m’excite.

Camille sort.

Scène III

Lauriane, Margot

Lauriane reprend ses arrosoirs qu’il avait déposés à terre et commence à donner à boire à ses rosiers, tout en fredonnant un petit air.

LAURIANE.

Et, le plus joli de l’affaire, c’est qu’il en avait fait la sienne.

MARGOT.

Qui ?

LAURIANE.

Lavernié !... Tu as toujours l’air de ne pas savoir ce qu’on veut te dire. (Il hausse les épaules.) En a-t-il assez fait de l’esbroufe ! Et : « mes relations » par ci… et « mon crédit » par là… et « je vais t’enlever ça en cinq sec »… Vantard, va !... – Il crevait de soif…

MARGOT.

Lavernié ?

LAURIANE.

Le Maréchal Niel ! Tu n’es jamais à la question… (Tout en parlant, il a inondé d’un filet d’eau un rosier garni de magnifiques roses jaunes.) Est-il assez beau, ce gaillard-là ? On jurerait du beurre salé… (Poursuivi de son idée fixe.) Heureusement que ça m’est égal. Je me connais, je sais ce que je vaux, j’ai ma propre considération et ça suffit à mon bonheur. Quant aux hochets de la vanité, serviteur de tout mon cœur.

Il chante.

Tu, tu tu,
La y tou la la !
Dieu que t’as l’air bête !...

MARGOT.

Merci. Tu es plein d’attentions pour moi, et je mène à tes côtés une existence pleine de charmes.

LAURIANE.

Veux-tu en changer ? À ton aise ! la porte est là, et la gare n’est pas loin. Nous ne sommes pas mariés, ma fille.

MARGOT.

Crie-le donc plus haut. Les voisins pourraient ne pas avoir entendu.

LAURIANE.

Les voisins ? Je m’en fiche, des voisins… Et puis, d’abord, pourquoi n’es-tu pas à la cave ?

MARGOT.

À la cave ?

LAURIANE.

Naturellement ! Non seulement tu devrais y être ; tu devrais en être revenue… (Camille réapparaît au fond.) Tiens ! voilà notre invitée. Grouille-toi un peu, sacrebleu !... Va chercher une bouteille de bière ! Quel malheur, bon sang, d’être rivé à une empotée pareille !

MARGOT.

Plains-toi.

LAURIANE.

C’est bon !

CAMILLE.

De l’autre côté de la barrière.

Je vous fais fuir ?

MARGOT.

Je reviens.

Elle sort.

Scène IV

Lauriane, Camille

LAURIANE.

Ouvrant à Camille la barrière qui donne accès à son jardin.

Entrez donc !

CAMILLE.

Parions que je vous dérange.

LAURIANE.

Très aimable.

Vous plaisantez. Tenez, asseyez-vous là.

CAMILLE.

Merci.

Elle prend son ouvrage. Lauriane la regarde, l’air attendri.

LAURIANE.

Vous êtes bien ?

CAMILLE.

Je suis bien.

LAURIANE.

Très bien ?

CAMILLE.

Tout à fait bien. Mais vous étiez, je crois, en train de faire boire vos rosiers. Je vois d’ici un Maréchal Niel qui réclame votre assistance et une Gloire de Dijon qui souffre de la pépie.

LAURIANE.

Le Maréchal a bu comme un chantre de village et la Gloire de Dijon a les pieds dans la vase, comme un simple Marvejol.

CAMILLE.

C’est bien, ce que vous dites là.

LAURIANE.

Moins bien que ce que vous faites.

CAMILLE.

Tout de bon ?

LAURIANE.

Qu’est-ce que ça représente ?

CAMILLE.

Une maison dans des arbres.

LAURIANE.

Le fait est qu’il n’y a pas d’erreur. Ça, c’est les arbres, et ça, c’est la maison… C’est rudement bien imité. Et quand on songe, Seigneur, qu’un travail comme celui-là a pu sortir de petites menottes comme celles-ci. Donnez un peu la patte.

CAMILLE.

Lui donnant la main.

Vous lisez dans les mains ?

LAURIANE.

Des fois.

CAMILLE.

Qu’y voyez-vous ?

LAURIANE.

Des choses.

CAMILLE.

Quelles choses ?

LAURIANE.

Des choses…

CAMILLE.

Enfin, expliquez-vous…

LAURIANE.

Soit, je m’explique… (Il tombe à genoux.) Camille, je vous aime.

CAMILLE.

Hein ? Quoi ? Qu’est-ce ?

LAURIANE.

Camille, je vous aime.

CAMILLE.

C’est une plaisanterie !... Voulez-vous bien vous relever ? Oh ! mais nous allons nous fâcher.

LAURIANE.

Camille, écoutez-moi.

CAMILLE.

Encore une fois, monsieur Lauriane.

LAURIANE.

Je vous jure que ce n’est pas l’air de la campagne…

CAMILLE.

Mais relevez-vous donc.

LAURIANE.

Jamais !

CAMILLE.

Vous êtes ridicule ; prenez garde…

LAURIANE.

Cœur de roche !

CAMILLE.

En voilà assez ! Cette petite bouffonnerie champêtre a plus que suffisamment duré : l’instant est proche où elle deviendrait fastidieuse. Une dernière fois, debout ! D’ailleurs, voici Mme Lauriane.

LAURIANE.

Naturellement.

Scène V

Les mêmes, Margot

MARGOT.

Tu es souffrant ?

LAURIANE.

Pourquoi ?

MARGOT.

Tu es rouge comme un coquelicot.

LAURIANE.

Tiens, j’en ai le droit, je suppose, depuis deux heures que j’use mon huile de bras à faire fonctionner la pompe !... Il n’y a pas de prise d’eau, ici. Si on m’y revoit, dans cette maison, j’ose dire que ce sera dans un songe.

MARGOT.

Tu as encore l’air de t’en prendre à moi !

LAURIANE.

Je sais ce que je dis.

MARGOT.

Les larmes aux yeux.

Oh ! Oh ! Oh ! Oh !

LAURIANE.

Et puis, pas de musique ! Je ne suis pas d’humeur à la supporter !... pas plus que tes airs de victime !... Aussi bien, je l’avais oublié, nous avons à causer.

CAMILLE.

Je vous gêne ?

LAURIANE.

En aucune façon, chère amie. Je vous prierai même de demeurer, car l’instant est venu pour moi d’ouvrir aux étrangers la porte de ma maison et de mettre ma vie au soleil.

MARGOT.

Vous allez voir que j’ai encore commis des crimes.

LAURIANE.

Pas de grands mots !... (Se fouillant.) Où l’ai-je fourré ?... Le voici… Qu’est-ce que c’est que ça ?

MARGOT.

Un pierrot.

LAURIANE.

Un pierrot… Je ne te l’ai pas fait dire !... l’espoir du printemps et l’amour d’une mère ! Au faîte de ce hêtre se balançait doucement un nid qui faisait mon attendrissement, où se battaient, s’ébattaient, se débattaient trois nouveau-nés, sans barbe et sans moustache encore !... Et c’était pour moi une fête de jeter en passant un sourire aux espiègleries de leur ingénuité. Total : l’appartement vide, et la mère en pleurs sur la branche !... Le chat de madame est passé par là !... Charmant animal !... Que je le chope au bout de mon fusil, et je lui colle deux balles dans la peau ; vous verrez si ça fera un pli. Pan ! Pan !

MARGOT.

Souriant.

Tu n’as pas de fusil.

LAURIANE.

C’est possible. Que je mette la main dessus alors ; et je lui fais sauter la queue d’un coup de hache. Bing !

MARGOT.

Tu n’as pas de hache.

LAURIANE.

Non ? Eh bien, je l’enverrai, la tête la première, voir au fond du puits si j’y suis.

MARGOT.

Il n’y a pas de puits.

LAURIANE.

Je me tue à le dire ! Encore un des avantages de cette extraordinaire maison. Ah ! je t’en aurai, des obligations… Je t’en dois des actions de grâces !... Allons ! plus un mot ! Silence ! Ne m’oblige pas à te rappeler qu’il n’y a qu’un maître chez nous.

MARGOT.

Croyez-vous, hein ?

CAMILLE.

Il plaisante… Voyons, monsieur Lauriane…

LAURIANE.

Chère madame, je n’ai pas l’habitude d’exposer au grand jour ni mes pleurs ni mes plaies. Mettons que je plaisante et n’en parlons plus.

Il remonte.

CAMILLE.

Bas, à Margot.

Il n’est pas méchant, au fond.

MARGOT.

Je sais bien… Mais tout de même… C’est à en tomber malade, voyez-vous…

LAURIANE.

Au fond, l’œil au loin parti à la découverte du facteur rural qui ne vient pas.

Toujours pas de dépêche !... (Un gamin entre en courant et hors d’haleine.) Qu’est-ce qu’il y a ? Tu n’es pas le facteur, toi ?

LE GAMIN.

Non, m’sieur.

LAURIANE.

Eh bien ?

LE GAMIN.

M’ame Marvejol, s’il vous plaît ?

CAMILLE.

C’est moi, petit. Que me veux-tu ?

LE GAMIN.

C’est un monsieur qu’est là-bas, au bord de la rivière, qui pêche et qui a les pieds dans l’eau. Alors, il m’a dit comme ça de dire comme ça à madame que chaque fois qu’il allait pêcher, madame lui emportait ses chaussures ; alors que madame les lui rende, rapport qui peut pas revenir sans.

Lauriane rit.

CAMILLE.

Vexée.

Pourquoi riez-vous ? Simple distraction… Va à côté, petit, la bonne t’en fera un paquet.

LAURIANE.

C’est tout de même extraordinaire ce télégramme qui n’arrive pas ! (À Ursule qui est venue sur le seuil de la porte y secouer son panier à salade.) Le télégraphiste n’est pas venu ?

URSULE.

Le télégraphiste ? Si, monsieur.

LAURIANE.

Le télégraphiste est venu ?

URSULE.

Y a au moins une heure.

LAURIANE.

Quoi faire ?

URSULE.

Apporter une dépêche.

LAURIANE.

Pour qui ?

URSULE.

Pour vous.

LAURIANE.

Eh bien, où est-elle ?

FIN DE L’EXTRAIT

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